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 Le Fardeau de la liberté

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Mérope&Ézéchiel
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Mérope&Ézéchiel


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MessageSujet: Le Fardeau de la liberté   Le Fardeau de la liberté Icon_minitimeDim 30 Déc - 13:29

Le Fardeau de la liberté

J’ai galopé toute la nuit, et je galope encore. J’ai retrouvé mon chemin depuis belle-lurette, mais je fais exprès d’emprunter un mauvais sentier ou de diverger de ma route pour me perdre encore et encore. J’ai l’impression que, à califourchon sur Destin, je suis invincible et impénétrable : je ne peux plus m’égarer, je ne peux plus être attaqué, je ne peux plus être perturbé. Je répète ce petit jeu depuis un certain moment, trottant entre les arbres, découvrant les beautés de ces étangs, de ces marécages, de cette forteresse, de cette forêt éternelle. J’en oublie presque que je suis libre, mais j’apprécie chaque moment. Après tout, être libre, c’est d’oublier qu’on l’est.

Je m’arrête dans un patelin où les gens dorment encore. Je me laisse guider par mes instincts qui me mènent vers une vieille auberge. Sa structure est délabrée, mais elle semble encore tenir debout. Je ne me rappelle pas l’avoir croisée durant mon enfance, à moins que mes souvenirs me filent entre les doigts. Avant d’entrer, je descends de mon destrier et je sens aussitôt une partie de mon âme s’extirper de moi-même. Je perds mon invulnérabilité et cette confiance qui m’habitait lorsque je galopais librement sur l’étendue du domaine. Je deviens qu’un homme parmi tant d’autres, proie aux aléas, aux risques et aux périls de la réalité. Je me sens faiblard et sans intérêt. Je n’ai plus rien du fils d’un Éternel ou d’un cavalier au don céleste. Je ne suis qu’un entre plusieurs.

Je lance un ultime regard à Destin qui, lui, me répond d’une paire d’yeux confiante et réconfortante. Il me dit, en silence, que je suis fort et qu’on pourra se retrouver dans quelques minutes. Je pénètre donc dans l’auberge, me rendant cette fois-ci compte que je ne suis plus logé, ni nourri. Je ne possède rien sur le land des hommes, sinon que des vêtements. Je n’ai pas d’argent, pas de nourriture, pas d’armes. Dès lors, je dois donc me débrouiller pour parvenir à mes fins. Je suis perplexe vis-à-vis tout cela : je dépends de moi-même et de personne d’autres. Je n’oserais tirer de conclusions promptes et défaitistes, mais qu’arriverait-il si je ne suis pas à la hauteur? Je préfère ne pas y réfléchir pour l’instant.

L’auberge est donc à l’image de son aspect extérieur : abîmée par le temps, détériorée par les intempéries et probablement ruinée par quelques rixes sanglantes. Je ne porte pas trop attention à ce décor, néanmoins, et me contente de m’orienter vers le comptoir où je m’assois tranquillement. Je dois attendre plusieurs minutes avant de voir la tenancière apparaître sur le seuil des cuisines, chopes vides à la main. Lorsqu’elle m’aperçoit, elle laisse presque tomber les verres et s’approche. Elle semble à la fois heureuse et stupéfaite de voir un passant. En me parlant, elle pose sa paume sur mon épaule. Ce simple contact humain me déconcerte, me dépayse. Un frisson me parcourt l’échine et j’en néglige presque les propos qu’elle s’évertue à articuler.


« À cette heure, c’est bien rare d’accueillir des clients. »

Elle sourit au vide, en espérant que je lui en ricoche un, mais je suis trop bouleversé pour démontrer quelconque réaction. Je demeure neutre et placide, mais à l’intérieur, un tohu-bohu se déchaîne. Comme si je venais de le réaliser, j’ai conscience de ce que je suis : je ne suis qu’une âme, mais une âme humaine qui peut parler avec d’autres, qui peut les interpeller, les effleurer, les observer durant des heures et les blesser d’un mauvais assemblage de mots. Tout ce que je fais, à partir de maintenant, a un impact. Mes syllabes deviennent des ondes de choc, mes phrases des coups de pied au cœur et mes gestes des séismes qui feront trembloter plusieurs. Je suis vivant.

De son côté, la tenancière, voyant que je ne lui rétorque rien, parle d’une voix qui est soudainement monocorde et blasée. Elle parait vexée de mon manque d’attention, mais elle réagit comme si elle faisait face à une fâcheuse habitude.


« Tu veux quelque chose à boire, à manger? Je suis Catherine, si t’as besoin de quoi que ce soit. »

Je dépose mes poignets enchaînés sur le comptoir dans un brouhaha métallique qui méduse l’aubergiste. En se retournant, son regard se nuance de frayeur. D’un bond, je me relève. Je vois qu’elle est affolée et qu’elle n’est pas à l’aise dans les circonstances.

« Tu… Tu es un prisonnier?! s’interroge-t-elle en empoignant une flasque de vin. Quitte, va-t-en! Je ne veux pas d’un criminel dans mon auberge! »

Mon cœur se resserre. En fait, je crois qu’il arrête de battre.

« Prisonnier, non? Ce boulet et ces chaînes… »

Je me rends compte de l’absurdité de la situation.

« C’est peine perdue. »

Je détale comme un vulgaire criminel, mais je n’en suis pas un. J’ai l’impression, de par ma fuite, de confirmer que je suis un misérable meurtrier en cavale. Mes actes sont risibles; pourtant, je ne peux m’arrêter de courir, comme épris d’une impulsion irréversible. Ainsi, alors que je traverse le portique, j’entends la tenancière criailler pour qu’on l’aide. J’entends des portes qui s’ouvrent, d’autres hurlements qui réverbèrent, des quidams alarmés, des pas qui tambourinent sur la faible structure de l’auberge et, pendant une seconde, plus rien. Tout ce que je vois, au même moment, ce sont trois hommes baraqués qui émergent rageusement du bâtiment. D’où je suis, je ne peux identifier ce qu’ils tiennent dans leurs mains, mais en y pensant, c’est mieux comme ça.

Je dois faire face à la réalité : je ne suis pas un athlète remarquable. Ils se rapprochent à vue d’œil et, dans quelques secondes, ils m’auront encerclé. Cette fois-ci, mes pieds ne seront pas la solution à mon problème, mais ceux de Destin, eux, seront indispensables. Je furète donc l’horizon à sa recherche, mais sa présence m’échappe. Je siffle dans l’espoir de l’interpeller. Il ne revient pas. Il n’est pas là. Il est disparu. Où est-il? M’a-t-il abandonné? A-t-il fait mine d’être un ami pour ensuite être libre, lui aussi? Je suis ridicule… Comme si de telles bêtes avaient des sentiments.

Et comme si j’avais le temps d’y réfléchir. Je ne peux déjà plus courir. Je n’aurai pas assez d’endurance pour résister. Je capitule lâchement.
Les trois assaillants me rejoignent en moins de quelques secondes et m’entourent aussitôt. Les pointes d’une fourche s’enfoncent dans mon dos, sans pour autant cribler ma chair. J’ai peur. Je perds tous mes moyens. Je vais m’évanouir, m’écrouler, me laisser indignement déferler sur le sol et perdre conscience. Je perds tous mes moyens, mais une rage inconnue les retrouve. Sans écouter ma tête, mes bras se lèvent et mes chaînes se mettent cahoter d’un côté et de l’autre. Sans écouter ma tête, je m’accroupis, je me recroqueville. Sans écouter ma tête, j’explose. Je me relève, je tourne sur moi-même à une vitesse plus ou moins vertigineuse et j’assène des coups de chaîne brutaux aux trois hommes. En chœur, ils gémissent et reculent de quelques pas, enfonçant leur visage meurtri dans le creux de leurs mains. Je renchéris d’une flagellation au dos qui déchire leurs vêtements avant de décamper. Je cours, lentement, mais je cours.

Je profite du calme de la situation pour m’engouffrer dans la forêt. À chacun de mes pas, je lance quelques regards furtifs autour de moi afin de voir s’ils s’approchent et si Destin (j’espère encore) se trouve dans les parages. Toutefois, ma très chère amante, la mauvaise fatalité, décide de me hanter de nouveau. Mon destrier n’est nulle part et les assaillants sont partout. Cependant, je n’abandonne pas cette fois-ci, et je continue de courir. J’ai envie de tout cesser, mais tous mes muscles se sont révoltés contre ma volonté.

Plus je suis englobé par la forêt, plus l’air est humide. Des marécages parsèment les environs et des marres vaseuses sont de plus en plus fréquentes. Le climat me leste et, lentement, je me fatigue. Toutes mes enjambées deviennent des martyrs et la moindre respiration est une torture. Je perpétue néanmoins ma course effrénée, passant par-dessus de faibles étendues d’eau. Quant aux hommes, ils se rapprochent eux aussi. Ils se rapprochent de moi plus rapidement que je m’approche de ma liberté. En me retournant, j’entrevois des plaies ensanglantées sur leurs joues et autour de leurs lèvres. Je culpabilise de les avoir heurtés. Je ne devrais pas. Ce n’est pas moi qui les ai frappés. Ce n’est pas moi…

Alors que je traverse un étang peu profond, mes pieds deviennent incroyablement pesants et accablants. Je me rends alors compte que seule ma jambe droite est attirée vers les profondeurs. Je ne vois plus le boulet, ni même la chaîne autour de ma cheville, ni même mon tibia. Je m’enfonce. Je sombre. Le marécage m’engloutit. Je sombre. Les trois hommes s’approchent et me tirent de là sans hésitation. Je tente vainement de me défendre en utilisant mes chaînes. Ils me propulsent sur le sol, quelques mètres plus loin, et me pilonnent de coups au visage et au thorax. Je souffre, je geins, je meugle. Et je sombre. Je sombre.


* * *
Je me réveille. Je ne suis plus à l’extérieur, mais l’air est autant humide, sinon plus. Un mal global enflamme tout mon corps. Je prends quelques minutes pour me remettre de mes émotions et de ma douce souffrance avant de constater que je me trouve au fond d’une cellule. Je ne sais pas où je suis, alors je ne bouge pas. Je ne sais pas comment je sortirai d’ici, alors je reste là. Je ne sais pas comment réagir, alors je ne réagis pas.

Une minute à peine s’écoule entre le moment où je m’éveille et l’arrivée des gardes, des hommes aussi grands que larges qui sont armés jusqu’aux dents. Leur regard est teinté d’agressivité et je comprends qu’ils ne sont pas là pour rigoler. L’un d’entre les deux déverrouille ma cellule tandis que l’autre braque une interminable hallebarde en ma direction. Je ne bouge pas. Je suis trop transi par l’incompréhension pour faire quoi que ce soit. Ils pénètrent à l’intérieur de ma cellule et ferment les barreaux derrières eux. Un premier prend la parole :


« Décline ton identité. »

J’ai envie de ne pas répondre, mais je réponds quand même.

« Skjöld. Je n’ai pas de nom de famille. »

Les geôliers se regardent et consultent une liste.

« Ton nom n’est pas répertorié. Aucun garde ne se souvient de t’avoir vu dans le passé. Dis-moi, tu t’es échappé de quel endroit? »

« Je ne suis pas un évadé. Je suis un homme libre. »

Sans le vouloir, je mets l’accent sur le mot libre. À chaque fois que je reprends conscience de mon affranchissement, je ne peux rester flegmatique. Cette fois-ci, un léger sourire tente de se dessiner sur mes lèvres, mais je l’opprime avant que les gardes ne le voient. Je n’ai pas envie d’attirer une attention inutile. Je n’ai pas envie de leur prouver que je suis un criminel, alors que je n’en suis pas un.

« Alors, explique-moi. Explique-moi d’où viennent ce boulet et ces chaînes. »

« Même si je vous le disais, vous ne me croiriez pas. », que je réponds sèchement.

« Parle. »

« Je suis l’esclave d’un Éternel en libération conditionnelle. »

Ils s’esclaffent en silence.

« Je ne crois pas ce que tu dis. »

« Je vous avais prévenus. »

Une quiétude désagréable emplit la cellule. Les hommes chuchotent entre eux des paroles que je ne peux comprendre. Mais après tout, je n’essaie même pas de comprendre. Je suis trop perdu dans l’infinité de mes pensées pour entendre quoi que ce soit. Je suis le fils d’un Éternel. Ces chaînes et ce boulet lui appartiennent.

« Essayez de couper le boulet. Prenez donc votre hallebarde. »

Ils ne comprennent pas. Ils doivent comprendre.

« Vous verrez. Coupez la chaîne qui relie ma cheville à ce boulet. »

L’un des deux acquiesce d’un mouvement de tête subtil. Sans attendre, je tends ma jambe alors que l’autre geôlier tire le boulet de façon à mettre la chaîne sous tension. Celui avec la hallebarde prend son élan. Il arque son dos, tend ses bras, ravine son visage avec ardeur. Puis, d’un coup, il relâche toute la pression. La lame fend le vide à toute vitesse. Quand elle entre en contact avec la chaîne, des faisceaux de lumière blafarde explosent dans la cellule, nous aveuglant tous pendant l’espace d’une seconde. Les gardes sont projetés dans les airs avant de terminer leur rude chute contre les murs du cubicule. Des jérémiades tourmentent le silence ambiant des cachots. Quant à moi, je ne bouge pas. Je ne bouge jamais.

Quand ils se relèvent, plusieurs secondes plus tard, ils me défigurent et me dévisagent comme si j’étais une créature ignoble, comme si je méritais d'être encloîtré dans cette prison. Ils rouvrent les barreaux, sortent et les referment aussitôt. Ils me toisent.


« Qu’on m’apporte un de ces fanatiques du Sanctum. Sur-le-champ. », ordonne l'un d'eux.

Je soupire à mon tour. La liberté, c'est donc ça?
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