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 Un Cœur désenchanté

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Mérope&Ézéchiel
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Mérope&Ézéchiel


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MessageSujet: Un Cœur désenchanté   Un Cœur désenchanté Icon_minitimeMar 1 Jan - 14:12

Un Cœur désenchanté

« Je sais reconnaître un criminel quand j’en vois un. »

Une voix éraillée me ramène à la réalité. Je ne veux pas revenir à la réalité. Je suis si bien dans le confort de mes pensées, je suis si bien hors de toute véridicité. Je commence à penser que je n’ai pas ma place parmi mes semblables, tout simplement parce que je ne suis pas l’un d’eux. Je ne suis pas né pour être libre. Je ne suis pas un homme libre. De l’autre côté, je ne suis pas bien là-haut, soumis à l’Unique et à ses bonds d’humeur incessants qui briment la mienne. Je ne suis bien nulle part. Rien ne me convient. Au fond de cette cellule, je n’entrevois aucun futur, aucune issue qui me permettrait d’accéder à cet état d’allégresse que mes souvenirs me promettaient. Mes souvenirs m’ont menti.

Dans la tempête, l’optimiste espère que l’orage mène à un ciel perpétuellement placide, le pessimiste redoute que les pluies deviennent cataclysme, mais le réaliste, lui, sait que les vents se calmeront un jour. Je ne suis aucun d’entre eux. Je n’espère rien, je ne redoute rien et je ne sais rien. Je n’existe pas.

Même mes réflexions sont décousues. Mon fatalisme est peut-être dû à la fatigue et à l’exaspération qui commencent à m’envahir. Ce serait probable. Je ne dois pas y penser. Et je m’éloigne. Je m’éloigne de cette voix qui vient tout juste de m’interpeller. Je ne peux identifier d’où elle vient, de quelle cellule elle émerge. Je ne cherche pas à le savoir. Cette voix rauque ne cherche qu’à m’atteindre. Je n’articule que quelques syllabes pour ne pas alimenter son animosité.


« Alors, tu vois mal. »

J’entends des rires gras et creux. Ils semblent provenir d’outre-tombe. À travers l’obscurité, je distingue deux halos d’un jaune agressant qui me regardent eux aussi. Plus je m’habitue à cette noirceur, plus je me rends compte qu’il s’agit des yeux d’un tierce prisonnier au visage maculé de saletés. Il me regarde entre deux barreaux. Quand la voix répond, je devine qu’elle provient de cet homme.

« Laisse-moi finir, commence-t-il rudement. Je sais reconnaître un criminel quand j’en vois un, et je peux te certifier que tu n’en es pas un. T’as le regard encore trop ignorant et trop insoucieux pour avoir commis la moindre infraction, bonhomme. »

Mine de rien, à l’écoute de ses dires, je me sens soulagé. Soulagé d’apprendre que quelqu’un dans ces cachots croie en ma version de l’histoire et en mon innocence. Sa parole ne vaut rien pour les geôliers et ne démentira certainement pas ma culpabilité, mais je suis réconforté. Avant que je ne puisse le remercier – ce qui aurait été fort accessoire dans les circonstances actuelles –, il décide de renchérir :

« T’as fait quoi pour te retrouver ici? »

Je soupire. Je ne sais pas si je devrais tout raconter à cet homme que je ne connais pas. Mais après tout, qu’est-ce que j’ai à perdre? Je n’ai plus rien en ce moment. Je n’ai même plus ce pourquoi j’ai berné l’Unique : ma liberté. Toutefois, je dois avouer que j’hésite quelques secondes avant de me lancer. Je n’ai franchement pas envie d’attirer les foudres de mon maître. Soit, ma situation est trop pire pour être empirée.

« Pour faire court, je suis l’assistant d’un Éternel qui m’a libéré sous conditions. Je porte ces chaînes et ce boulet pour me rappeler que je suis toujours rattaché à lui. Plus les mots se succèdent, plus mes épaules se déchargent d’un poids inutile. J’ai l’impression que mon cœur se purifie et qu’il peut, à son tour, respirer librement. Comme j’avais faim, je me suis rendu dans une auberge du coin. La tenancière n’a pas aimé me voir arriver enchaîné, elle a pensé que j’étais un prisonnier en cavale. Elle a appelé ses hommes de main, je n’ai pas fait le poids face à eux, je me suis évanoui et je suis arrivé ici. »

Je l’entends rire de nouveau. Ces rires, en temps normal, m’auraient déconcerté, presque vexé. Pourtant, je laisse échapper quelques risées à mon tour, constant que ma situation est ridicule. Mon existence est une suite d’ironies et d’aberrances qui se succèdent.

« Dis donc, bonhomme, t’as pas de chance, réussit-il à prononcer entre deux quintes de rigolades. Moi, j’ai tué cinq personnes pour me retrouver ici. »

J’arrête de rire. Mon regard devient probablement très méfiant. En tout cas, je le suis. Je n’arrive pas à comprendre. Je me suis battu toute mon existence pour être libre et heureux, toute mon existence pour retrouver ce que j’avais perdu et ce qui me faisait rêver. Je n’arrive pas à comprendre… Cet homme, qui se trouve à quelques pas de moi a, au cours de sa vie, pris l’impensable décision d’assassiner, sauvagement ou non, cinq hommes. Cinq âmes qui ne retrouveront plus jamais leur corps. Cinq âmes qui erreront pour toujours sans pouvoir caresser leurs ambitions. Cinq âmes qui sont irréversiblement soumises à la mort.

Cinq âmes qui ne seront plus jamais
libres.

Je ne suis pas à l’aise. Je ne suis pas du tout à l’aise à l’idée de discuter avec un meurtrier. Je ne réponds donc pas et je me contente de détourner le regard. Je ne veux même pas essayer de comprendre. Ses paroles ne valent plus rien à mes yeux. Alors, je redeviens seul. De nouveau seul dans ma solitude. Et si je tombe, personne ne viendra me tendre la main. Si je meurs, personne ne viendra verser des larmes sur mon cercueil. Si on m’abandonne… Non, mes propos sont insensés. Pour être abandonné, il faut avoir été accompagné. Je ne l’ai jamais été.


« Trois autres ont survécu à leurs blessures. »

Je fulmine. Il le voit, ça l’amuse.

« Et c’est sans compter les dommages collatéraux. »

Je regarde cet homme avec répulsion ou, du moins, ce qui reste de cet homme. Il m’apparaît plutôt comme une armure vide et vidée de remords et de regrets. Ses sourcils, froncés depuis le début, donne l’impression qu’il est nonchalant et que le sang qui souille ses mains est insignifiant. Lui-même est insignifiant. Il a perdu le sens de la vie en la retirant à d’autres. Tout cela me rebute, à un tel point que quelques palabres s’échappent de ma bouche sans même que je les ai autorisés à faire trembloter mes cordes vocales :

« Tue-toi. »

Je ne sais pourquoi j’ai prononcé ces mots. Je ne les pense pas. Je ne peux pas inciter les gens à la mort. Je ne peux pas… Je regrette déjà. Mon cœur, qui arrête momentanément de battre, le regrette aussi. Mais je ne peux pas m’excuser. Je ne peux pas demander pardon à des ruines d’homme qui gisent au fond d’une cellule.

Quant à lui, il baisse les yeux. Ses sourcils se détendent. Ses joues se mettent à vibrer. Une fausse quiétude envahit les cachots. Contre mon gré (encore et encore), je sens le besoin de combler ce silence.


« C’est quelque chose qui te rend digne? »

Il ne relève pas les yeux.

« Tu crois? »

Sa question est rhétorique.

« Pourquoi tu en parles avec fierté? »

« Comment en parler, alors? Avec regrets et mélancolie? Je suis trop vieux pour espérer le passé. Trop vieux pour éprouver de la rancœur envers moi-même. »

A-t-il raison? Je n’en sais rien. Je ne suis ni vieux, ni criminel.

« Ça fait longtemps que tu es ici? », que je lui demande lentement.

« Trop longtemps. Une vingtaine d’années, je dirais. Mais le temps est plutôt relatif entre trois murs de briques et des barreaux. Au début, on compte. Une semaine après, on peste contre le temps. Quand les semaines se transforment en mois, on essaie de le tuer. Des années plus tard, on ne compte plus, on ne peste plus, on n’espère plus. Tout devient ridiculement futile. »

Ses mots m’accrochent, me captivent. Je ne peux dire pourquoi, mais j’ai cette indiscrète envie de vouloir en savoir davantage sur sa captivité. Je prends un plaisir saumâtre à l’entendre se plaindre, se confesser et avouer ses fautes.

« Tu crois que tu sortiras ici un jour? »

Il soupire longuement. J’ai l’impression que ce soupir s’éternise depuis déjà des siècles.

« Non, l’espoir est mort depuis trop longtemps. »

« Et pourquoi le bourreau ne t’exécute pas? », que je dis en repensant à une vieille fable que j’ai écrite pour l’Unique.

« Il paraît que les plus ignobles criminels ont comme sentence l’isolement à perpétuité. C’est pire que la mort, qu’ils disent. Il prend une pause. Je confirme. »

Il demeure silencieux pendant un moment. Moi de même. Je n’ose plus rien dire. Je n’ose même plus respirer pour éviter de le tourmenter. Sous ce faciès impassible et ce visage de roc, une âme déplorée refuse de s’exhiber au grand jour. Je ne pardonne pas ses actes – et loin de là –, mais je le perçois maintenant d’un œil totalement différent.

« Tu es bien depuis que cet… Éternel – c’est bien ça? – t’a libéré? », demande-t-il d’un ton intéressé.

« Pourquoi me crois-tu, toi? »

« Pourquoi mentirais-tu à un prisonnier comme moi? »

Il lève finalement les yeux. Son regard perce le mien. Je baisse les yeux à mon tour.

« Je ne sais pas. J’ai été libre que quelques heures, et encore. »

« Rien de plus agaçant que d’avoir goûté à la liberté. »

« Que veux-tu dire? »

« Tu es bien au fond de cette prison? »

Je ne réponds rien. Il sait que je ne suis pas bien et je le sais aussi. Mais je sais aussi que mon affranchissement n’est pas éternel et que je devrai, un jour ou l’autre, retourner auprès de l’Unique, encloîtré dans une solitude massacrante. Je devrai faire semblant de me dévouer à une entité que je ne respecte plus et qui, par-dessus tout, ne m’a jamais respecté. Je devrai vivre enchaîné à ma tristesse, en n’ayant de liberté que l’ampleur de mes fables. Je ne ferai que collectionner les palabres, en espérant que tout se règle un jour.

Un énième silence s’empare des environs, mais pour une fois, il n’est pas désagréable et il ne donne pas l’impression d’un malaise.


« Tu seras libéré. Tu seras heureux. Tu rencontreras plein de gens. Et tu finiras par te détacher de celui qui brime ton bonheur. À cet instant-là, tu seras libre. »

Les mots de l’homme s’envolent, pénètrent ma peau et m’assaillent le cœur. Pour tout dire, jusqu’à présent, je n’avais jamais réfléchi à être libéré. Tout ce que j’entrevoyais, c’était un avenir morose dans ces cachots foncièrement malsains. Entendre que ma captivité est temporaire, d’une bouche autre que celle de mon esprit, m’émeut. Je le remercie en silence, alors qu’il rajoute :

« Et quand tu sortiras, je… »

Il se tait, mais il n’a pas besoin de dire quoi que ce soit. Je comprends.

« Que veux-tu que je fasse? », que j’articule d’une voix avec un trop-plein de compassion qui me laisse stupéfait.

« Dis-leur que je suis mort. Dis-leur que Philémon, fils d’Abel, est mort. Dis-leur que le carnassier est mort. Empalé. Désemparé. Désenchanté. Et enterré. »

« À qui? »

« À eux. Hurle-le dans toute la forteresse. »

« Mais pourquoi? »

« Ils seront heureux de savoir. »

Ses yeux deviennent si intenses que je ferme les miens, aveuglé par tant d’émotions.

« Que justice soit rendue. »

Un garde passe. J’entends un glissement métallique qui désagrège mes tympans. Je vois le prisonnier, du bout de ses bras, dégainer le sabre du geôlier. Je vois… Je vois… Non, je ne veux plus voir. Trop de sang. Trop de mort. Pas assez de temps. Pas assez d'espoir.



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